C’est le livre de Francis Dupuis-Déri qui nous l’apprend, en nous offrant une très précieuse mise en perspective historique: la prétendue «crise de la masculinité» est vieille comme le patriarcat, et son expression connaît des périodes de recrudescence à travers les siècles, non pas lorsque les rapports de sexe tendent vers des formes d’égalité (par exemple au Haut Moyen-Âge en Europe) mais lorsqu’au contraire la domination masculine a repris des formes si radicales et si spectaculaires que les protestations des femmes se font plus vives – suscitant, à chaque fois, ce qu’on pourrait appeler une «Réaction masculiniste». Laquelle en général ne se contente pas de s’inquiéter qu’il ne soit plus possible d’être «un homme, un vrai»: c’est une rhétorique qui associe toujours la différenciation des sexes à leur hiérarchisation tacite (le masculin se caractérisant par des propriétés qui le vouent à une suprématie «naturelle») et cette hiérarchisation à la bonne santé de la société. Dès le XVIIIème siècle, le masculinisme est un nationalisme, assignant les femmes aux seules tâches reproductives afin de soutenir une démographie assez tonique pour assurer la suprématie nationale sur les nations rivales. Et si par malheur les nations connaissent des crises économiques ou des défaites militaires, c’est bien sûr à cause des femmes, ou de la «féminisation de la société». […]