Marie-Célie Agnant raconte Rachel Bédard

Je m’en voudrais de commencer cette présentation de Rachel Bédard par une formule éculée tel l’immanquable « c’est un honneur pour moi ». Parce qu’il s’agit en fait non pas d’un honneur mais d’un bonheur immense que de pouvoir assister à la remise de ce prix à Rachel, alors que, comme beaucoup de personnes, je me suis souvent demandé tout au long de ces années (25 années), au cours desquelles j’ai pu la côtoyer et travailler avec elle sur différents textes, différentes publications, quand est-ce que le milieu de l’édition allait enfin lui rendre un hommage plus que mérité pour ce flambeau qu’elle tient depuis tant d’années à la barre des Éditions du remue-ménage.

Cette maison d’édition qui a vu le jour dans le bouillonnement militant des années 1970, cette maison d’édition qui, dans le contexte des luttes incessantes que doivent encore aujourd’hui mener les femmes pour qu’existe et se fasse entendre leur voix, cette maison qui n’a jamais cessé de faire circuler, de mettre à la portée de toutes et de tous, des ouvrages qui constituent des textes fondateurs pour l’avancement des femmes, des textes pour questionner, déranger l’ordre établi et faire bouger les idées reçues, cette maison d’édition, eh bien, elle peut clamer qu’elle a su bénéficier tout au cours de son existence de l’apport inestimable d’une femme exceptionnelle, une travailleuse hors du commun, une militante dans tous les sens du terme, celle à qui l’on remet ce prix aujourd’hui, Rachel Bédard.

Cette marque de reconnaissance, nous sommes nombreuses à la célébrer car nous savons que chez Rachel ne couve que le feu de la passion tranquille et déterminée. Si tranquille se veut cette passion qu’on la dirait de granit. Une passion immuable, à la fois ouverte et secrète, totalement désintéressée; une passion qui la rive depuis tant d’années telle une nonne, une carmélite courbée sur son ouvrage, cette tâche d’éditrice impeccable à laquelle elle se donne corps et âme et dans une humilité si grande que nous disons, parlant d’elle, que son nom se confond avec les mots désintéressement et dévouement. Rachel pour nous est une vestale, une sentinelle, elle est, grâce à ce dévouement, la gardienne du feu sacré d’une parole qu’il faut faire entendre.

Rachel Bédard, indispensable travailleuse de l’ombre. Elle a simplement pris pays dans le monde de l’édition pour faire avancer la parole des femmes. Elle est pour celles qui ont eu la chance de la voir à l’œuvre, un modèle de désintéressement dont la sobriété et la modestie exemplaires ne cessent de surprendre.

Au nom de toutes les autres femmes qui se retrouvent elles aussi à travailler dans l’ombre dans ce domaine ou « l’invisibilisation » est si présente, et au nom de tant de femmes que Rachel a accompagnées pour permettre l’éclosion de leur voix et de leur parole, je prends la liberté de dire merci à celles et ceux qui enfin ont su reconnaître et souligner par ce prix le travail de Rachel Bédard à la barre des Éditions remue-ménage.