[Sylvia Duverger] Vous évoquez un sujet fragmenté que le féminisme opposerait au monolithe patriarcal, opposition qui serait d’un insigne apport en politique (p. 145). Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse féministe de ce sujet fragmenté, et sur ce qui le fait tenir, sur ce qui lui permet d’agir, en dépit (ou à cause ?) de sa fragmentation ?
[Diane Lamoureux] Le sujet fragmenté est un sujet qui n’est pas solipsiste (ne se conçoit ni comme seul au monde ni comme étalon de l’humanité). Il fait donc signe vers l’intersubjectivité, vers le fait que, comme le souligne Arendt, ce sont les êtres humains dans leur diversité et non l’Homme dans son unicité qui habitent le monde. Le «nous» du féminisme n’est pas prélevé sur une catégorie sociologique, les femmes, mais se construit dans l’agir commun de la lutte contre le sexisme et l’hétérosexisme. Le sujet fragmenté admet son caractère partiel et peut ainsi être à la base des solidarités concrètes qui permettent le penser et l’agir commun qui forgent les liens de concitoyenneté dont je parlais précédemment. […]